mardi 23 novembre 2010

De la littérature engagée



La semaine passée, je suis allé donner un cours, incognito.  Incognito, car la professeure du cours m'a présentée comme une anthropologue ayant fait des études en littérature comparée.  Après m'être assuré qu'aucun de mes patients n'étaient dans la classe -une de mes phobies, car expliquer comment on peut à la fois être médecin et donner une séance sur la littérature africaine à l'université peut être long et ardu-j'ai laissé la parole aux représentants de l'association étudiante qui voulaient parler d'un vote de grève imminent.  Le désintérêt se lisait sur tous les visages; la clientèle de l'UQAM semble avoir changé:  moins de révolutionnaires convaincus...



Je débute mon cours, parlant de Nadine Gordimer, grande écrivaine sud-africaine, engagée dans la lutte à l'apartheid, militante de l'ANC, écrivant magnifiquement  l'injustice, les faux-semblants, la révolte.  La classe est tiède.  Se réveille un peu quand on  parle de Sartre  -"la littérature efficace, c’est la littérature qui entraîne l’homme vers l’amélioration de la condition des hommes "- et quand commence le débat à savoir si la littérature est toujours engagée.  Si on peut choisir de ne pas s'engager malgré un contexte difficile, injuste, inacceptable. Si choisir d'écrire le train-train quotidien d'un monde sans injustice frappante -comme ici, à Montréal, maintenant- était un engagement à ne pas s'engager.  Si un écrivain peut refuser de s'engager, refuser le rôle de porte-étendard.  Comme le soulignait un étudiant, on peut choisir d'écrire ici, maintenant, sans mettre notre vie ou celle de nos proches en danger.  Alors que dans certains régimes totalitaires, le seul acte d'écrire est subversif.  Conclusion: ici, c'est un choix de s'engager ou non.  Là-bas, c'est une fatalité. ça m'a attristé, moi qui rêve toujours de petites révolutions à chaque paragraphe que l'on écrit...


Et puis aujourd'hui, j'apprends -sur le facebook d'une amie douée en scoops littéraire-  que l'auteur Gil Courtemanche refuse sa nomination pour le Prix Archambault, car cette entreprise appartient au monstre Québécor de PFK, pardon, PKP. Celui qui a lock-outé les journalistes du Journal de Montréal, contre lequel l'establishement littéraro-journalistique a poussé les hauts cris quelques semaines, avant de tranquillement rentrer dans le giron commercial de Québécor/TVA/24 heures/LCN/Vidéotron.

Personne n'a jamais questionné ce prix littéraire.
Et vlàn, Courtemanche s'engage.
«Écrire est essentiellement un geste de liberté et je ne peux accepter que mon nom ou un de mes livres soit associé à des gens qui foulent cette liberté au pied.»
J'aime.
Peut-être est-il notre Gordimer?


Nadine Gordimer: dividing facts from fiction dans le Guardian
Sartre, Qu'est-ce que la littérature

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