jeudi 25 novembre 2010

de la chronique et du blog



Ça fait longtemps que j'y pense.  Je crois que vraiment, Cyberpresse devrait changer un peu son interface, et bien différencier la "chronique" -ou le billet de qualité, à la Foglia- du "blogue" de leurs chroniqueurs.
On s'attend d'une chronique qu'elle soit fouillée, qu'il y ait eu de la recherche, des sources, un propos cohérent.

Le blogue peut s'en permettre un peu plus...

Celui de Lagacé, hier, m'a fait m'étouffer plusieurs fois plutôt qu'une.  En présentant un vidéo promotionnel de la compagnie pharmaceutique Roche (déguisée sous le couvert d'une coalition anti-cancer) il fustige le Conseil du Médicament de ne pas avoir approuvé l'utilisation de certaines "molécules" (terme utilisé par les journalistes qui croient que c'est ce qui se dit dans le jargon médical) pour le traitement du cancer.
En bref, il dit que pour économiser des sous, le Québec choisi de ne pas sauver la vie de patients, ou de ne pas en augmenter la qualité.

Ses "sources", deux oncologues, sont très intimement associés aux compagnies Novartis et Roche, qui comme par hasard fabriquent la quasi-totalité des médicaments refusés par le conseil du médicament.  
On ne mentionne pas, non plus, que plusieurs de ces médicaments sont disponibles pour traiter certains cancers, mais pas pour ceux où leur utilisation est trop expériementale, ou trop coûteuse.
Ce qui m'enrage, c'est que c'est une chronique populiste -"les gens meurent du cancer et on leur refuse des traitements" pas du tout fouillée. Il aurait fallu poser la question: comme société, acceptons nous de payer tout médicament qu'un représentant pharmaceutique a réussi à vendre comme prometteur à un oncologue et à des patients désespérés? Un vidéo populiste est-il plus représentatif de la réalité qu'une analyse poussée -pas toujours parfaite, pas toujours selon les standards que l'on voudrait, avec des ratés, évidemment- d'un groupe d'experts dont l'indépendance est suréveillée?  Voici le type d'analyse que fait le Conseil du Médicament pour refuser, par exemple, le bevacizumab (Avastin).  Son efficacité pour l'indication soumise n'est pas établie.  Simple.

D'autre analyses sont plus difficiles à suivre et probablement plus sujette à discussion: le conseil du médicament utilise des modèles d'analyses pharmacoéconomiques pour décider si un médicament à efficacité partielle "vaut la peine" au point de vue des coûts et bénéfices.  Et ça, on peut en discuter des années... est-il juste de refuser un traitement de six semaines à coût approximatif de 8000$ qui pourrait allonger la vie (sans que l'on sache ce qui en est de la qualité) de deux mois mais tuer un pourcent des patients qui le prenne? Voir, par exemple, l'analyse pour le Temsirolimus (Torisel).

C'est une situation très complexe, très loin du "on refuse des médicaments pour améliorer la vie des cancéreux" du blogue de M. Lagacé.

mardi 23 novembre 2010

De la littérature engagée



La semaine passée, je suis allé donner un cours, incognito.  Incognito, car la professeure du cours m'a présentée comme une anthropologue ayant fait des études en littérature comparée.  Après m'être assuré qu'aucun de mes patients n'étaient dans la classe -une de mes phobies, car expliquer comment on peut à la fois être médecin et donner une séance sur la littérature africaine à l'université peut être long et ardu-j'ai laissé la parole aux représentants de l'association étudiante qui voulaient parler d'un vote de grève imminent.  Le désintérêt se lisait sur tous les visages; la clientèle de l'UQAM semble avoir changé:  moins de révolutionnaires convaincus...



Je débute mon cours, parlant de Nadine Gordimer, grande écrivaine sud-africaine, engagée dans la lutte à l'apartheid, militante de l'ANC, écrivant magnifiquement  l'injustice, les faux-semblants, la révolte.  La classe est tiède.  Se réveille un peu quand on  parle de Sartre  -"la littérature efficace, c’est la littérature qui entraîne l’homme vers l’amélioration de la condition des hommes "- et quand commence le débat à savoir si la littérature est toujours engagée.  Si on peut choisir de ne pas s'engager malgré un contexte difficile, injuste, inacceptable. Si choisir d'écrire le train-train quotidien d'un monde sans injustice frappante -comme ici, à Montréal, maintenant- était un engagement à ne pas s'engager.  Si un écrivain peut refuser de s'engager, refuser le rôle de porte-étendard.  Comme le soulignait un étudiant, on peut choisir d'écrire ici, maintenant, sans mettre notre vie ou celle de nos proches en danger.  Alors que dans certains régimes totalitaires, le seul acte d'écrire est subversif.  Conclusion: ici, c'est un choix de s'engager ou non.  Là-bas, c'est une fatalité. ça m'a attristé, moi qui rêve toujours de petites révolutions à chaque paragraphe que l'on écrit...


Et puis aujourd'hui, j'apprends -sur le facebook d'une amie douée en scoops littéraire-  que l'auteur Gil Courtemanche refuse sa nomination pour le Prix Archambault, car cette entreprise appartient au monstre Québécor de PFK, pardon, PKP. Celui qui a lock-outé les journalistes du Journal de Montréal, contre lequel l'establishement littéraro-journalistique a poussé les hauts cris quelques semaines, avant de tranquillement rentrer dans le giron commercial de Québécor/TVA/24 heures/LCN/Vidéotron.

Personne n'a jamais questionné ce prix littéraire.
Et vlàn, Courtemanche s'engage.
«Écrire est essentiellement un geste de liberté et je ne peux accepter que mon nom ou un de mes livres soit associé à des gens qui foulent cette liberté au pied.»
J'aime.
Peut-être est-il notre Gordimer?


Nadine Gordimer: dividing facts from fiction dans le Guardian
Sartre, Qu'est-ce que la littérature

samedi 20 novembre 2010

S'occuper du patient ou de la maladie -le texte



à la demande de certains d'entre vous, le texte qui a servi de base à ma présentation lors du débat sur la motion: "Il est mieux de traiter la maladie que le patient" lors du 12ème symposium de recherche de l'Hôpital St-Mary's  J'avais la chance de défendre le point du vue en désaccord avec la motion, en compagnie de Rosetta Antoniacci, une infièrmière exceptionnelle qui travaille au département de médecine interne.  Nos opposants éatient Dr Peter Steinmetz, un médecin de famille intensiviste, et Annie Chevrier, infirmière en soins critiques.
Le débat était en anglais, et si je n'ai pas suivi le texte/plan suivant à la lettre, ça résume quand même assez bien ce que j'ai dit...

Since my colleague Rosetta quoted a great nurse who said that “the focus of nursing was health”, I feel it is my duty to quote the Florence Nightingales of physicians, Sir William Osler, who said “It is much more important to know what sort of a patient has a disease than what sort of a disease a patient has.” It is almost common sense. When I talked to friends and relatives about participating in this debate on how it is more important to treat the person than the disease, I was received by blank stares. Wait, people would say, is that a debate? That type of a reaction always makes one nervous, when everybody thinks that what you say is common sense, it might mean that there are not many arguments on the subject…
 
And it so happened that I sat down in front of the TV series “House MD”. Dr House is the most obnoxious physician on TV; he is rude, gives the impression that he doesn't care, but is often the only one to diagnose what the patient has. And in most cases, he doesn't even talk to the patient. At first glance he seems to care only about the disease, not the patient. But the more you watch the show the more you realize that it is the opposite. He has his team going through volumes and volumes of charts, question the patient on what they felt emotionally right before the symptoms were triggered; he even sends his minions to the patient's house to explore in details the patient's environment and draws all sort of conclusions on how he/she lives. He really lives according to Osler’s aphorism. He gets to know what sort of a patient has a disease...

 
I'm not House. I talk to my patients. And as a family practitioner, my focus has to be the patient, because the disease that afflicts them is not always known, or treatable, as Rosetta mentioned. Also, many studies have shown that the patient's personal beliefs change how they feel pain and how their body reacts, and definitely change their compliance with treatment. . Often, the disease cannot be separated from its bearer. Many chronic diseases are not treatable, barely controllable, and one has to know his/her patient to help them cope with the burden of such disease. Everybody knows that exercise and calorie reduction is what is needed for an obese patient to loose weight, but you can't help a patient achieve these goals without knowing their environments, their specific biology and focusing on their way of life instead of the bare scientific aspect of obesity. Instructing a person to do that sort of behavioral change is never effective without a therapeutic alliance.
Disease does not occur outside of a patient. Even when there is a pathogenic organism, such as a virus, disease only occurs when there is an interaction between the patient and the organism. Since patients vary, identical pathogenic organisms can cause significantly different responses/disease in different patients. Disease is even more patient specific when it occurs as an interaction between the patient and environment and/or as an internal process ..

 
So ‘focusing on disease’ is a set up for treatment failure First, a given set of signs and symptoms in a particular patient may or may not fit in the ‘correct’ diagnostic box. Given enough time in practice, every clinician will see a ‘classic case’ that turns out to NOT be the presumed problem.
On top of the uncertainty in diagnosis, every patient responds to treatment in different ways. Sometimes you get the diagnosis right, prescribe the ‘right’ treatment, and the patient still doesn’t get better. On the flip side, sometimes you get the diagnosis wrong, and the recommended ‘wrong’ treatment appears to help the patient anyway.

 
We argue that the best way to treat a patient is to practice patient-centered care. It treats the patient with dignity and respect, as one capable of making informed decisions and with the rights to express needs and preferences in treatment and expected outcome. Care that is truly patient-centered considers patients’ cultural traditions, their personal preferences and values, their family situations, and their lifestyles. Disease do not stem only from pathological agents or condition, but from interaction between the biological, the psychological and the social environment. A good patient-centered approach should focus on all these aspect, and not only on the final diagnosis of a disease that they produce.

 
( ad lib on family medicine and need to focus on the patient while dealing with these issues:

  • Prevention
    • Most efficient, less painful, less costly
    • Primary/secondary
    • Act on risk factors
  • Chronic disease
    • DM, obesity, HTN
    • Dementia
  • How can you treat the disease when you don't know what it is?
    • It is not because the x-ray is normal that you don't have pain)
As Rosetta said, we often come to a point where treating a disease seems futile to the treating team or to the patient. The patient’s values, expectation and baseline state need to be considered as a whole. Even when you can’t cure, you can always care, and by negotiating a therapeutic alliance with your patient and not with his disease, you can help relief suffering.

Finally, to quote again William Osler, I can only say that “The good physician treats the disease; the great physician treats the patient who has the disease”. Thank you
In conclusion, we argue that it is impossible to treat diseases and not patients because the disease is rooted in who the patients are, in how they live, and the treatment to their ailments varies depending on how their bodies react to them, on what they beliefs are, and how they envision their choices of life and death. Also, for the patient to feel cared for, he or she has to feel heard as a human being, not just as a bearer of a virus, bacteria or condition.


De la discrimination contre les médecins étrangers



Je me suis un peu étouffée en buvant mon café cette semaine, lorsque j'ai lu que la Commission des Droits de la personne a conclu que les médecins diplômés hors Canada et États-Unis (DHCEU) étaient victimes de discrimination.    Je ne veux pas être mal comprise, loin de là: leur parcours est inutilement long et semé d'embûches.  Et la politique d'études d'équivalences  du Collège des médecins du Québec est elle aussi bancale.
Mais voilà, on oublie que la médecine est profondément culturelle, surtout les soins de première ligne -pédiatrie, médecin interne  générale, médecine de famille- et que la majorité des DHCEU qui nous arrivent sont des spécialistes dans leur pays d'origine qui se font diriger en médecine familiale ou en médecine interne générale car la compétition est grande pour entrer en spécialité.
Je ne veux pas disserter ici de l'aspect éthique d'intégrer à notre système des médecins formés à l'étranger et qui souvent étaient -pour ceux des pays du sud- "l'élite" là bas et dont chaque départ amoindri les chances du pays de se bâtir un système de santé convenable (je reviendrai à cet exode des cerveaux plus tard).  Je ne m'étendrai pas non plus sur l'utilisation du mot discrimination, qui est en général lié à l'utilisation d'un droit (et je ne crois pas qu'être médecin soit un droit, c'est vraiment un privilège) mais j'aimerais souligner que si on choisissait 25 chirurgiens spécialistes avec plus de dix ans d'expérience, tous québécois-francophones-pure-laine ou québécois-anglophones-pur-tweed, plusieurs d'entre eux n'arriverait pas à donner des réponses adéquates à l'entrevue de sélection de médecine familiale, là où le manque de médecin est le plus criant et là où la majorité des places en résidence non-comblées sont. Et la majorité d'entre eux aurait beaucoup de difficulté à se concentrer sur la médecine préventive, sur les aspects psycho-sociaux  de la santé, sur le soins aux malades chroniques, aux syndromes douloureux, à l'anxiété et la dépression qui son le lot quotidien des médecins de famille.
J'ai la chance de travailler avec les DHCEU qui ont été admis en résidence, presque tous les jours.  Et plusieurs d'entre eux s'intègre très rapidement à notre culture médical et à nos façons de faire.  Mais pour une grande partie, la résidence devient des années très difficiles, puiqu'ils doivent désapprendre presque tout ce qu'ils croyaient savoir, et tout réapprendre.  Ils ont besoin de beaucoup de supervision -idéalement, un superviseur pour un appenant, en étirant la sauce peut-être deux pour un. 
Mais dans cette époque de grande pénurie de médecins de famille, où ceux d'entre nous qui faisons de la supervision de résidents doivent être responsables du travail de 4, 5, 6 et parfois 7 résidents, est-ce que le public voudrait que l'on retire de la pratique active une cinquantaine de médecins de famille pour encadrer correctement les DHCEU?